En 1994, Louise me proposa de venir la voir à New York pour me montrer le nouveau travail qu'elle venait de faire et qui était exposé au Brooklyn Muséum.
Comme chaque fois, je devais lui apporter mes nouveaux dessins.
Telle ne fut pas ma surprise lorsque je découvrais ses aquarelles représentant des araignées.
C'était la première fois qu'elle abordait ce sujet depuis de nombreuses années.
J'étais d'autant plus troublée que moi aussi j'abordais ce sujet dans les nouveaux dessins que je lui apportais...
J'avais moi aussi abordé ce sujet, petite fille en 1968 et lors de notre dernère conversation nous avions abordé le thème de l'araignée alors que nous ne l'avions pas encore traité.
Lorsqu'elle découvrit ce travail, elle se mit à en parler et accepta que je retranscrive ses paroles:
Toute cette série, il me semble que c'est une recherche sur le thème de la peur.
La peur d'avant toutes les peurs, la peur primordiale, sexuelle, la peur d'exister, la peur de naître.
C'est aussi la peur de l'animal à l'instant où il va être dévoré par son ennemi.
Je vois très bien les yeux, le regard.
Par contre, vous n'avez pas peur de l'espace, vous le maîtrisez très bien, la preuve c'est que vous venez me voir à New York.
C'est important que vous préserviez l'ordre dans lequel vous faites vos dessins pour que l'on en comprenne le sens, le rythme.
Cette forme que vous refaite inlassablement est chaque fois reconstruite, modulée, différente.
A la fin de chacune de vos séries, vous vous apaisez, la peur s'assagit, s'endort jusqu'au jour où elle réapparaît et où il vous faut recommencer.
Pour moi, c'est très lisible, apaisant rare.
Vos araignées sont à l'opposé des miennes, les miennes parlent de ma mère qui tissait et qui m'apaisait.
Louise Bourgeois, texte inédit, New York, avril 1994.